Malgré une première échappée pleine de découvertes jusqu’à Lamayuru, à l’ouest de Leh, notre curiosité reste affamée. Elle recroquerait volontiers dans quelques monastères bouddhistes nappés de paysages exquis, comme le Ladakh sait si bien en concocter. Nous repartons pour une nouvelle fournée de gompas, stupas et moulins à prières, cette fois vers le sud-est de la vallée de l’Indus. Ces monastères répondent aux noms de Chemrey, Hemis, Stakna et Thiksey.

Merci de ne pas inviter les moines-à-s’taire.
Nous accompagnons notre excursion de deux nuits à Stakna, absolument pas nécessaires, par simple envie de prendre l’air et tout notre temps.

Au monastère de Chemrey, plus de fresques que de touristes
Notre première halte monastique est la plus lointaine de cette série, mais pas au fin fond du Ladakh non plus. Comptez une petite heure de route pour atteindre le monastère de Chemrey depuis Leh. Sans oublier de crier STOOOOOOOOP au taxi quatre cents mètres avant, afin d’immortaliser sa silhouette parfaite.

Le Mont-Saint-Mi-Chemrey
Une fois l’entrée réglée (50 roupies), quelques boiseries multicolores dans les recoins de la cour nous happent déjà. Mais ce n’est qu’un début, la suite est un carnaval.


Les photos étant autorisées, nous en profitons pour mitrailler dans tous les sens : des grands Bouddhas, des petits Bouddhas, des Bouddhas en peinture, des Bouddhas en statue, des Bouddhas aux pommes…
Et nous progressons, puisque nous commençons aussi à différencier les Bouddhas des pas Bouddhas. Ici par exemple, reconnaissables à leurs chignons bleus et oreilles bien pendues, ce sont d’abondants Bouddhas bout-à-bout :

Be-bop-a-Buddha
Les pièges sont nombreux, car la plupart des personnages sont représentés en tailleur avec une gestuelle copiée sur le grand maître. Avec un chapeau à la place du chignon, lui n’est pas Bouddha :

Avec une moustache, définitivement pas Bouddha :

Et même la plus grande statue du temple principal, avec sa couronne à trois pics, n’est pas Bouddha. C’est Padmasambhava, l’homme qui a répandu la religion dans l’Himalaya. Notez son charmant bâton à trois têtes : une fraîchement coupée, une bleue en décomposition et un crâne.

Si vous désirez poursuivre sur le chemin de l’épouvante, il y a pire sur certains murs. Voilà Mahakala, qui semble vouloir nous égorger du regard, enlacé avec son alter-monstro féminin :

Heureusement, le courroux de ce cher monsieur n’est pas dirigé contre nous, mais contre nos illusions et nos attachements. Les pauvres.
Quant à son ami à quatre têtes, Chakrasamvara, il s’est fait une spécialité de mettre en charpie les émotions négatives pour les recycler en sagesse.
Pour finir de nous rassurer, ces êtres sont d’autant plus inoffensifs qu’ils n’ont aucun moyen de nous approcher. Ils n’ont jamais existé, ce sont des personnages purement symboliques, inventés pour guider dans la pratique du bouddhisme.
Pareil pour les macchabées dansants, présents dans tous les temples. Ils rappellent qu’il faut accueillir la mort avec sérénité et même allégresse, elle n’est qu’une étape transitoire dans le cycle des réincarnations.

🎶 Et on fait tourner les squelettes… 🎶 (Putrid Sébastien)
Les offrandes, nombreuses dans ce monastère, ne sont pas vues comme des « cadeaux » à Bouddha ou à ses presque sosies, mais comme une façon de cultiver ses qualités intérieures, telles la générosité, le détachement, l’humilité…


À la sortie, nous cherchons notre chauffeur de taxi partout et le retrouvons dans un réfectoire. Un moine y sert le fameux thé au beurre tibétain (thé, beurre de yack et sel). Ça reste sur l’estomac, mais le goût est bon !
Et c’est reparti jusqu’au prochain monastère, avec un très vieux moine pris en stop dans le taxi. Nous connaissions les moulins à prières, lui est un moulin à paroles.
Monastère d’Hemis : des lamas zen veux-tu, zen voilà
Hemis est un monastère aux dimensions supérieures, même le plus grand du Ladakh en nombre de moines. Il est d’ailleurs le siège d’un courant de pensée important dans la région : le Drukpa Kagyu. Pour éclairer vos lampes à beurre, cette branche du bouddhisme ne reconnaît pas le Dalaï Lama comme chef spirituel, juste comme une personne éclairée parmi d’autres, et prône la méditation, beaucoup de méditation, avec guidage du padawan par un maître attitré, comme chez les Jedi.

Hemis est moins perché que d’autres monastères, mais ses moines s’élèvent autrement.
Sa grande cour intérieure est un monument en elle-même, parfait décor pour le plus important festival monastique du Ladakh. Notez les hauts poteaux, appelés darchor, qui servent littéralement d’antennes pour diffuser les prières au loin.



Nous retrouvons les couvent-ionnelles salles de prières et temples, une bibliothèque, etc., mais aux proportions démultipliées, où nous croisons quelques moines concentrés sur leur métier : marmonnements, balancements, solos de gongs… Hélas, les photos y sont interdites.

L’entrée du monastère d’Hemis (100 roupies, au fait) comprend également un vaste musée d’objets cultuels et culturels.
Si vous regrettez que le monastère ne soit pas plus haut perché, voici trois suggestions. Il est facile de monter sur le toit terrasse pour admirer la vue. Avec plus d’efforts, vous pouvez atteindre une flopée d’autres bâtiments monastiques à flanc de montagne. Et une heure de grimpette plus haut, il existe paraît-il une superbe grotte sacrée.
Enfin, un riche stupa trône un peu plus bas sur la route, protégé par une série de statues. N’hésitez pas à monter ses marches pour admirer un large mandala dessiné au sable coloré.


Pause nature à Stakna
Nous rejoignons cet hôtel à proximité de Staknai pour deux nuits. Les alentours sont calmes au possible, pour ne pas réveiller l’Indus dans son lit. Nous voulions déconnecter de la ville, nous sommes servis !



D’ailleurs, il n’y a presque rien à faire, à part profiter du savoir-faire d’un très bon cuisinier, admirer le reflet des montagnes dans le fleuve et… voilà.
Ah si ! Nous pouvons passer voir le monastère de Stakna, à vingt-cinq minutes de marche, et c’est ce que nous entreprenons le lendemain.


Le nom Stakna signifie « nez de tigre », en référence au rocher sur lequel il est posé, qui évoquerait cette forme. Sur nos photos, il ressemble plutôt à un genou d’éléphant, question d’angle sans doute.

En poussant la porte (30 roupies), nous sommes accueillis par un moine joyeux dans une courette intimiste, fleurie et superbement colorée.

Notre moine fait office de guide, ouvrant les portes une à une et révélant de superbes peintures. Autant certaines semblent sorties hier du pinceau, autant l’âge a bien patiné sur d’autres.




Si ce n’est pas le plus impressionnant monastère du Ladakh, c’est le plus mignon que nous ayons visité pour sûr ! Et le fait d’être arrivés à pied ajoutait à la satisfaction.

Notre après-midi passe sous le signe de la lecture et du repos, jusqu’au nouveau spectacle d’adieu du soleil.

Ô temps, suspends ton vol ! (Lama Rtin)
Thiksey, le monastère le plus impressionnant du Ladakh
Le troisième matin, nous replaçons nos gros sacs dans un taxi vers Leh et demandons un dernier arrêt au monastère de Thiksey. Si Hemis possédait le record du nombre de moines, Thiksey prend le dessus en termes de spectacularité et de touristiquité. Il est d’ailleurs surnommé Little Potala, pour sa ressemblance avec l’ex-siège du Dalaï Lama au Tibet.


Il en partage du moins les couleurs extérieures, blanches, rouges et jaunes, qui resurgissent à l’intérieur (tarif 40 roupies).



Nous sommes également hypnotisés par une statue magnifiquement travaillée du « Bouddha du futur », qui occupe deux étages d’un temple.

Heureusement qu’il est assis, sans quoi il faudrait un troisième étage.
Notre visite se poursuit dans un labyrinthe truffé de portes parfois autorisées, parfois interdites, et d’escaliers bien raides. D’ailleurs, il vaut mieux avoir des poumons aguerris pour visiter Thiksey. Nous nous retrouvons même sur le toit, sans trop savoir si c’est normal. Il paraît qu’une partie du monastère est réservé aux nonnes, hélas nos détours ne suffisent pas à les croiser.



En revanche, même si le monastère est impressionnant, nous avons un peu de mal à percevoir la spiritualité des lieux. La faute à des travaux en cours, mais aussi au va-et-vient des touristes qui oublient de passer leur voix en sourdine et se prennent en selfies partout.
C’est peut-être l’occasion de lister des conseils pour visiter respectueusement les monastères du Ladakh :
- Murmurez, pour respecter le silence.
- Mettez vos téléphones sous silence également.
- Ne portez ni shorts, ni jupes, ni débardeurs.
- Retirez vos chaussures à l’entrée de chaque pièce, ainsi que le chapeau ou la casquette.
- Faites attention à ne pas pointer vos pieds vers une personne, une statue ou quoi que ce soit de sacré, c’est irrespectueux. Si vous vous asseyez, mettez vos petits petons vers l’arrière ou en position du lotus.
- Surveillez bien les panneaux « photos interdites ».
- Lorsque les photos sont autorisées, n’utilisez pas les décors pour des clichés de vous.
- Tournez dans le sens horaire dans les salles ou pour contourner un bâtiment.
- Ne touchez à rien, surtout pas aux peintures murales.
- Exception faite des moulins à prières, à condition de les tourner dans le bon sens eux aussi.
- Et ne grignotez pas les offrandes, même si c’est tentant !
Voilà, c’est la fin de notre voyage au Ladakh. Nous quittons l’Inde, des paillettes plein le karma, en direction de… l’Ouzbékistan !
Conseils pratiques pour visiter les monastères de Chemrey, Hemis, Thiksey et Stakna
Visiter tous ces monastères en un jour
Les distances étant courtes, les différents monastères de cet article s’enchaînent facilement en une journée, sans découcher de Leh. Notez les horaires d’ouverture pour organiser vos visites, en évitant notamment la pause du midi. Démarrer tôt peut augmenter vos chances d’assister à la prière matinale, à laquelle les touristes sont généralement conviés. Hélas, il n’est pas facile d’en trouver l’heure exacte (à Thiksey, nous avons cru comprendre qu’elle se déroulait entre 6 et 7h, dur !).
Les visiteurs ajoutent généralement Shey à cette liste. Nous l’avons aperçu en passant, mais nous sentions qu’il serait le monastère de trop.
Trajet vers ces monastères en taxi
Nous avons payé 2200 roupies le premier jour pour aller de Leh à Chemrey et Hemis (pauses comprises), puis Stakna. Ensuite, 1600 roupies pour rentrer de Stakna via Thiksey. Pour tout condenser en une journée, le site qui catalogue les tarifs officiels des taxis ne propose pas cette exacte liste de monastères, mais à vue de nez cela devrait chiffrer dans les 3000 roupies, temps d’attente compris.
Dormir en chemin
Il existe quelques hôtels dans la zone, mais généralement calmes car la plupart des visiteurs effectuent ces visites depuis Leh. Nous avons visé le bel hôtel Dakpa Housei à Stakna. La décoration est réussie, les chambres sont cosy et le calme est royal. Peut-être même un peu trop royal pour y rester plus de deux jours, sauf si vous cherchez une retraite d’écrivain. Les dîners et petits déjeuners sont excellents et des snacks sont proposés le midi. Le charismatique patron était hélas absent lors de notre passage (il est guide de haute montagne).
Certains co-clients de l’hôtel passaient deux jours ici à la sortie de l’avion, car les deux cents petits mètres de différence avec l’altitude de Leh permettraient de réduire le risque de mal de l’altitude. Ça se tente !
Dates des festivals dans les différents monastères du Ladakh
Le site de l’agence Ju-Leh Adventure recense chaque année les dates des festivals. Hélas, aucun ne tombait pendant notre séjour.