Un ciel pur nous accompagne tout au long du trajet, il contraste avec l’ocre de la pampa et se reflète dans de vastes lacs. Nous avons bon espoir de découvrir El Chaltén au soleil, ce coin d’Argentine réputé pour sa météo capricieuse.
Hélas… à peine le bus quitte-t-il l’axe sud-nord pour bifurquer vers la Cordillère des Andes que les nuages rappliquent, suivis par la pluie. Gloups. Bienvenue dans la tempétueuse capitale argentine de la randonnée, au nord de l’immense parc naturel Los Glaciares.
Cette information météorologique, nous l’avions bien intégrée dans notre planning. Trois jours suffisent théoriquement pour crapahuter sur les trois sentiers principaux autour d’El Chaltén et admirer le mont Fitz Roy jusqu’à plus soif. Nous choisissons de séjourner ici sept jours, ce qui nous permet de passer entre les gouttes. Le reste du temps, nous admirons, derrière la fenêtre, le spectre flou des montagnes qui nous narguent.
À l’approche du village, le bus effectue un arrêt forcé au poste des rangers. Chapeaux vissés sur la tête comme dans les films, ils nous expliquent tout : les règles à respecter, les conditions climatiques, les sentiers disponibles et ils fournissent même un plan détaillé du parc national Los Glaciares. Tout est parfaitement organisé, balisé et gratuit. Bref, vous n’avez même pas besoin de notre blog.
Bon, attendez, nous allons quand même vous donner nos impressions, nos coups de cœur et quelques tuyaux.
À quoi ressemble le village d’El Chaltén ?
Les Argentins ne semblaient pas spécialement pressés de s’installer au fond de cette vallée, puisqu’avant 1985 El Chaltén n’existait simplement pas. Une fois le village sorti de terre, en revanche, l’afflux d’alpinistes a provoqué la multiplication des hébergements et restaurants. Autour, des chantiers, de rares maisons et de vieilles caravanes écaillées par les hivers rigoureux. Peu de rues sont goudronnées, des flaques les recouvrent à la moindre pluie, mais ne vous inquiétez pas, même les clients des plus beaux hôtels portent des chaussures de randonnée.
En résumé, nous avons l’impression d’être venus nous nicher dans un refuge de haute montagne géant ou dans un poste avancé, tout sauf un véritable village.
À cela s’ajoute la quasi-inexistence de réseau internet, ce qui invite à ranger le téléphone au fond du sac. L’isolement du village rend également difficile de se fournir en produits frais.
Le premier soir, nous ne trouvons que des oignons et des citrons. Le menu sera donc : pâtes aux oignons et citrons !
L’atmosphère montagne-nature-randonnée-pâtes-aux-oignons-citrons nous plaît déjà nettement plus que l’ambiance glacier-excursion-rabatteurs-minibus de notre étape précédente à El Calafate.
Si vous êtes passionnés de chocolat et gourmands d’Histoire, faites un saut à la Chocolateria, une des plus vieilles maisons d’El Chaltén. Les gâteaux sont savoureux, tandis que les murs affichent des photos anciennes et du matériel d’alpinisme antédiluvien.
Le mirador des condors
Notre premier matin, il pleut à l’horizontale et vente au-delà des vitesses autorisées. Lorsque les éléments décolèrent enfin, nous grimpons au mirador des condors, proche de l’entrée d’El Chaltén.
Une demi-heure plus tard, nous surplombons le village, étonnés de le découvrir si étendu.
Par moment, nous devinons le Mont Fitz Roy qui camoufle ses 3 405 mètres derrière un rideau nuageux. Malgré son altitude faiblounette en comparaison d’autres sommets mondiaux, son ascension est réputée l’une des plus difficiles du monde pour cause de verticalité, de roche trop dure et… de conditions climatiques extrêmes.
Nous ne sommes pas les seuls à parler de météo !
Quant aux condors promis par notre mirador, ils ne sont pas au rendez-vous. El condor pas là. Nous les apercevrons cependant les jours suivants, tournoyant près du village pendant des heures, sans jamais avoir besoin de battre des ailes.
1ère randonnée : d’El Chaltén à la Laguna Torre
Un grand soleil est annoncé pour les deux prochains jours, c’est la fête ! Nous attrapons nos bâtons et nous élançons sur notre première grande randonnée à la journée, celle qui mène au lac Torre, « tour » en français. Drôle de nom pour un lac, nous direz-vous. Il le doit au Mont Torre qui le toise.
Dès le premier mirador, au bout de 20 minutes, l’explication de son nom éclate aux yeux.
Sa pente est si abrupte que les alpinistes parlent d’un véritable mur, encore plus compliqué à gravir que le Fitz Roy. En comparaison, notre randonnée est une promenade de santé, bouclée en 7h aller-retour, pause pique-nique comprise. Comptez 19 kilomètres avec un petit dénivelé positif de 400m.
Nous traversons plusieurs forêts verdoyantes, guidés par la tour tel un phare au-dessus des cimes.
En atteignant le lac, surprise ! Des icebergs bleu électrique barbotent là, à quelques brasses de nous, dans l’eau grise. Un cadre idéal pour sortir notre casse-croûte.
Chacun y va de sa pêche au glaçon pour une photo souvenir. Mais ce n’est pas tout, nous repérons deux baigneurs fadas qui enfilent les maillots et s’enfoncent dans l’eau. « Elle est un peu fraîche au début, mais ensuite on est bien », dirait un Breton.
L’autre récompense de la randonnée est le mont Torre, bien entendu. Nous avons paraît-il beaucoup de chance de l’admirer sans un paravent de nuages. Ceux-ci s’agglutinent juste derrière, prêts à reprendre le dessus à tout moment.
Nouvelle surprise sur le chemin du retour, nous croisons la route d’un couple de huemuls. Les rangers nous avaient mentionné leur rareté, moins de 1500 individus dans toutes les Andes, pourtant les cervidés n’hésitent pas à s’approcher très près de nous.
Fuyez loin des humains, pauvres fous, fuyez !
Enfin, nous admirons ici nos toutes premières couleurs d’automne. Cela ne nous était jamais arrivé… en mars !
2ème randonnée : la Loma del Pliegue Tumbado
Autre jour, autre randonnée, celle de la Loma del Pliegue Tumbado (« la colline du repli allongé » ?). Les choses se compliquent légèrement puisque ce trek, long de 22km, grimpe un bon 1100 mètres de dénivelé.
Nous commençons par croiser des vaches sauvages. Oui oui, sauvages. Un panneau conseille même de ne pas s’en approcher, elles peuvent attaquer.
Puis, nous traversons une forêt pleine d’arbres à terre, à se demander si King Kong n’est pas passé par là.
La verdure s’interrompt soudain pour laisser place à des paysages martiens.
Le dénivelé, jusqu’alors très progressif, prend un tournant un peu plus féroce. Nous nous retrouvons au pied d’une butte de 300m.
Une demi-heure et une demi-centaine de jurons plus tard, nous nous sentons au sommet du monde, entourés d’incroyables montagnes.
La vue est plongeante sur notre promenade de la veille, son lac gris et les Bretons qui se baignent.
Un pique-nique est bien entendu de la partie, et même une petite sieste pour ceux qui y parviennent.
N’hésitez pas à opter pour cette randonnée. Sur le papier elle nous semblait moins intéressante que les autres, et pourtant :
- elle est beaucoup moins fréquentée,
- le sol n’est pas trop caillouteux et vos pieds vous remercieront (à part sur la fin),
- le point de vue au sommet est époustouflant !
Nous rentrons au village bien raplaplas. C’est l’heure d’imiter tous les randonneurs d’El Chaltén : s’attabler devant une bière et retirer discrètement ses chaussures.
3ème randonnée : la Laguna de Los Tres et le Fitz Roy
Après avoir laissé couler une journée entière de repos, nous nous lançons dans la dernière et la plus difficile des trois randonnées. Celle-ci cumule une bonne distance (22km) et un dénivelé sympathique (900m) pour mener à la Laguna de Los Tres, meilleur point de vue sur le Mont Fitz Roy.
Le sentier nous réserve un bon lot de surprises, avec des forêts, prairies, ponts, rivières, marécages. Mais aussi beaucoup de marcheurs, nous sommes loin d’être seuls.
Tout à coup, un TOC TOC TOC retentit tout proche. Un gros pic à tête rouge, pas du tout peureux, fracasse son bec de toutes ses forces contre un tronc. Une femelle à tête noire le rejoint, tout aussi toquée que son mari.
Au fur et à mesure, la chaîne de montagnes entière se révèle à nous, complètement dégagée de nuages. Le Fitz Roy est le seul des cinq sommets proéminents à prendre le nom d’un Anglais. Les quatre autres possèdent étrangement des noms français.
La vue est déjà splendide, mais nous ne sommes pas au bout de nos peines.
La montée jusqu’au point de vue final présente un dénivelé de 400m sur 1km. Un mur !
Pour compliquer les choses, le sentier s’amenuise. Il faut sans cesse s’arrêter pour négocier le passage avec ceux qui redescendent.
En haut, le spectacle est…
… nous ne trouvons pas d’adjectif assez fort. Un vaste lac d’un bleu surnaturel, un glacier de chaque côté, des pics enneigés partout et le fameux Fitz Roy qui trône en maître. Bref, nous restons cois.
Après plus d’une heure à admirer les géants et à réconforter nos mollets, nous replongeons vers le village d’El Chaltén. Un bref détour nous permet de longer le lac Capri, doté d’un camping sur ses berges. Nous aurions bien déplié dans un tel décor la tente… que nous n’avons pas.
Puis nous croisons coup sur coup un tatou, un mara (lièvre de Patagonie) et un ovni dans le ciel.
Au total, nous aurons mis 4h30 à l’aller et 3h30 au retour, en nous fouettant un peu pour rentrer avant la tombée de la nuit.
Visite de la Casa Madsen
Avant de quitter El Chaltén, nous suivons le conseil avisé d’un lecteur et visitons la Casa Madsen. Un peu à l’écart du village se trouve cette maison du premier colon de la vallée, Andreas Madsen.
Le Danois au tempérament d’ermite participait à une mission exploratoire lorsqu’il s’éprit du Mont Fitz Roy. Il pendit sa crémaillère en 1903, fit venir sa femme et fonda sa petite famille dans une Patagonie quasi vide.
La visite guidée est passionnante, avec des histoires pas croyables assorties de preuves photographiques : une chasse au puma sur celle-ci, une traversée de la rivière en char à bœufs sur celle-là… Nous ne vous en dirons pas plus, mais nous vous encourageons chaudement à y aller.
Pour réserver, il faut prendre rendez-vous auprès de l’agence Walk Patagonia qui détient les clés, ou bien les contacter via WhatsApp au +5492966704000. Le prix de 13€ comprend un goûter.
Conseils pratiques pour visiter El Chaltén
Trajet d’El Calafate à El Chaltén
Plusieurs compagnies effectuent la liaison en plus ou moins 3h. Comparez les horaires et tarifs sur Busbudi et réservez le plus tôt possible. Les places partent vite et il arrive que des voyageurs se retrouvent bloqués plusieurs jours par manque d’anticipation.
Dormir à El Chaltén
Bonne nouvelle si vous voyagez avec une tente, les campings du parc national sont gratuits.
Autrement, les logements d’El Chaltén sont très chers et vite complets. Si vous vous y prenez tard, il risque de ne rester que les plus mauvais rapports qualité/prix.
Nous avons opté pour un appart-hôtel qui nous a beaucoup plu : Andino Apartsi. Notre deux-pièces était impeccable, très confortable, avec vue sur la montagne et un petit déjeuner (inclus) livré à la porte chaque matin.
Où manger à El Chaltén
Pour remplir son estomac aussi, les coûts sont plus élevés à El Chaltén qu’ailleurs en Argentine. La faute certainement à l’activité trop saisonnière et aux ingrédients difficiles à trouver. Mais rassurez-vous, ils savent cuisiner autre chose que des pâtes oignons-citrons.
Notre restaurant préféré est probablement la Bicicleta, avec un service au top et des prix un peu moins élevés qu’ailleurs. Et pour une cerveza en terrasse, passez chez La Cervecería.
Faire ses courses à El Chaltén
Comme expliqué, il n’est pas simple de s’approvisionner, bout du monde oblige. Le supermarché Betoldi est le magasin qui offre le plus de choix et de produits frais, mais nous avons tout de même eu un peu de mal à trouver de quoi préparer nos pique-niques.
Sur les conseils d’autres voyageurs, nous avions prévu le coup en arrivant à El Chaltén avec quelques prévisions en provision. Euh… l’inverse.
Capter Internet à El Chaltén
Sous réserve d’une amélioration depuis notre passage, Internet est très lent, que ce soit par wifi ou par mobile. El Chaltén est relié au reste du monde par ondes radio et celles-ci aiment se perdre dans la montagne. Si vraiment c’est important pour vous, réveillez-vous très tôt le matin, vous aurez toute la bande passante du village pour vous seuls.
Météo à El Chaltén
Entre nos jours de beau temps, nous avons eu des trombes d’eau et un ciel noir. Certains voyageurs repartent d’El Chaltén sans avoir pu apercevoir le Fitz Roy ! Prévoyez donc des journées de rab et un bon bouquin.
Équipement de randonnée et de bivouac
Nous n’avons pas randonné sur plusieurs jours, ni campé. Mais si cela vous tente (haha), il existe à El Chaltén plusieurs boutiques qui louent ou vendent de l’équipement. À propos, si vous comptez acquérir votre propre équipement, nous avons écrit un article : Notre guide pour choisir son matériel de randonnée ultra léger.
Affluence
Nous étions à El Chaltén début mars, au commencement de l’automne. Les vacances d’été des Argentins étaient terminées et les touristes étrangers moins nombreux. Pourtant, nous avons trouvé que le sentier de la Laguna de Los Tres était encore très chargé. Ce doit être difficile en haute saison.
Épilogue
C’est sur ces paysages époustou-extraordi-fracassants que s’achève hélas notre voyage en Argentine. Les jours suivants, nous annulerons tous nos plans et nous confinerons à Bariloche, la plus grande ville de Patagonie.
Récit qui fait rêver, comme d’habitude …
Le bon conseil, c’est de prévoir large en nombre de jours sur place (et en budget), ce qui n’est pas toujours évident vu le nombre de beaux sites à visiter en Patagonie …
Pas encore planifié mais c’est dans la « bucket list » et je sais maintenant que les trois randos en feront partie …
Restera à décider à quelle saison, entre le froid et la pluie, que choisir ??
Pas de traces GPS à partager ? Je pense que je trouverai ça sur wikiloc mais au cas où …
Merci de nous faire rêver, surtout par les temps qui courent !!!
A bientôt pour de nouvelles aventures ?
Ce n’est jamais évident de gérer ce genre de destination à la météo hasardeuse. Surtout que les prévisions ne sont absolument pas fiables dans ce coin. Nous on n’est pas pressés, mais on ne sait pas trop quelle est la meilleure stratégie pour ceux qui sont limités dans le temps !
Aucun besoin de traces GPS, tout est parfaitement balisé, mais oui, tu trouveras très facilement ton bonheur sur Wikiloc.
En guise d’aventures, on peut enfin se re-promener au Portugal donc on va commencer par là 🙂
Sublimes photos et un récit qui nous donne envie de faire ce périple ( à condition d être bons marcheurs ce qui n est pas mon cas 😀😀) merci encore de me faire voyager sans quitter la normandie. Bon courage.
Ah ça oui ! Et même pour des bons marcheurs c’est dur !
Merci pour ton message et… à bientôt pour de nouvelles aventures !
Bonjour Mi-fugue, Mi-raison !
Toujours beaucoup de plaisir à vous lire.
A défaut de voyager en réel, nous rêvons par votre intermédiaire.
Et l’on piaffe d’impatience encore plus.
En tant que Bretonne et adorant la mer froide de la côte d’Emeraude (c’est préférable de l’aimer froide … sinon on se contente de la regarder) je retiens l’idée d’une trempette sous d’autres latitudes à proximité des glaçons.
Mais plutôt au retour de la rando peut-être. Et peut-être que les pieds.
Bises masquées, virtuelles et salées.
Bonjour Anne-Marie,
On titille les Bretons, mais on a des amis finlandais qui se baignent dans la mer Baltique, c’est encore un niveau au-dessus.
Bises salées à toi aussi, depuis le Portugal, où pour le moment on se contente de regarder la mer 🙂
Cc vous Alors que dire. C’est juste absolument fabuleux. Le côté bout du monde, les paysages de folie… Ca me donne trop envie d’y aller. Bravo pour les photos et pour les mollets… Enchainer 3 randos de ce niveau en qq jours…
Bon nous on avance et on espère aussi pouvoir s’envoler vers la côte Botnienne qui a l’air prometteuse.
Bises à tous les deux
Au plaisir
Virginie
Fabuleux, c’est le mot ! Des amateurs de nature comme vous s’y régaleraient. On n’avait jamais entendu parler de cette côte Botnienne, les photos donnent envie ! Ce sera la bonne saison pour les randos en plus, non ?
À bientôt !
Normalement oui, plein été, nuits courtes . Je vous dirais ce qu’il en est si on peut partir… on a bloqué nos billets d’avion à des tarifs super bas et maintenant on est patient.
Toujours au Portugal ?
A bientôt
Virginie
On croise les doigts pour vous, ça devrait le faire !
Oui toujours au Portugal, ravis d’être déconfinés à temps pour profiter du printemps !
Ça fait tellement, tellement rêver, merci pour cette magnifique évasion au bout du monde. Magique !
Avec plaisir ! C’était si beau, un an plus tard, on a un peu l’impression d’avoir rêvé !
Bonjour,
Merci pour ce récit ça donne envie !
Nous y serons dans 1 semaine environ et pensons y rester 6/7 jours pour moduler les randonnées avec la météo 🤞
Cependant nous n’avons pas de véhicule, est il facile de rejoindre les randonnées citées depuis el chalten où recommandez vous de louer une voiture ?
Merci beaucoup
Bonjour Elisa,
La voiture est inutile à El Chaltén, les randonnées dont nous parlons partent toutes du village.
Ce n’est pas la capitale de la randonnée pour rien !