En mars, lorsque les bourrasques hivernales tardent à laisser place aux averses printanières, la France entière rêve de soleil, sauf peut-être les vendeurs de marrons chauds ou de parapluies. Mais où dénicher quelques rayons sans prendre l’avion ? Pour la deuxième fois, c’est vers l’Espagne et le Maroc que nous nous sommes échappés, en prenant tout notre temps sur la route. Dans cet article, nous allons vous parler de notre étape de deux jours à Murcie, puis trois jours à Carthagène.

Ce n’est pas magique, il peut y avoir un vent frisquet et quelques jours de gris, mais globalement cela nous réussit, surtout dans le sud ibérique ! C’est même la période idéale pour découvrir ses beautés avant que l’agitation touristique ne revienne avec ses gros sabots.
Allez, trêve de blablatérations, place à Murcie, puis Carthagène !
Murcie : une douce Espagne à la fleur d’oranger
Pour nous, le nom de Murcie n’évoquait pas grand-chose, mais pour les Espagnols, Murcia est indissociable des fruits les plus juteux. Le canton qui entoure la ville s’appelle officiellement Huerta, « verger » en français, et déborde d’orangers, citronniers, pêchers, abricotiers, amandiers, melonniers, pastèquiers (attention à ne pas faire une sieste sous ces derniers).
Les seuls indices fruitiers que nous détectons en ville sont les ribambelles d’orangers décoratifs, justement en fleur, qui titillent les narines à tous les coins de rue.

Est-ce que les parfums influent le comportement humain ? Sûrement ! Chaque personne que nous croisons paraît paisible et la ville entière nous semble douce. Nous sommes choqués en apprenant qu’il s’agit de la septième ville d’Espagne. Nous aurions plutôt parié sur la trentième.



Le fleuve Segura n’y est sans doute pas étranger, déroulant son ruban de nature en travers de la ville. Notez que nous n’avons toujours pas croisé un seul arbre dévêtu par l’hiver.


La promenade est charmante, notamment vers le vieux Pont des Périls, étrangement nommé. À moins que le péril ne soit cette sardine géante qui le surveille du coin de l’œil ?

Elle dépasse des flots en hommage à la grande fête de l’Enterrement de la Sardine, qui défile chaque année une semaine après Pâques et se termine en grand bûcher, avec la sardine en papier mâché au milieu.

Le cœur de Murcie s’est écarté de l’eau et de ses périls pour s’agglutiner autour d’une magnifique cathédrale. La façade blanche nous rappelle les plus belles créations du baroque sicilien, avec encore plus de statues partout. La voir surgir depuis le bout de la place du Cardinal Belluga est assez renversant !

Nous avions cru comprendre que l’entrée de la cathédrale était payante, mais en basse saison nous la trouvons gratuite. À ce prix, l’intérieur vaut largement le coup d’œil, même s’il nous fait un peu penser à… euh… une prison ! Des grilles épaisses tout autour de la nef incarcèrent une série de chapelles, coupables de beauté excessive.

Vous ne manquerez pas de remarquer le palais épiscopal rouge patine, qui trône sur la même place.


Et ce n’est pas la seule place du coin. Les environs de la cathédrale sont piétonnisés, de manière à former un chapelet de placettes mignonnettes. En plus, elles sont plantées de terrasses, donc idéales pour admirer les tenues souvent chics des Murcianos et des Murcianas qui passent, surtout les plus âgés.



En soirée, c’est du côté de la plaza de las Flores que nous rencontrons l’ambiance la plus sympathique, comme l’Espagne sait si bien offrir, à base de cervezas et de sangrias.

Si vous cherchez une une boisson plus inédite, goûtez le café asiático, spécialité de la région de Murcie et Carthagène. Il n’est pas réellement asiatique, seulement inventé par les marins avec ce qu’ils trouvaient dans les cales de bateaux : café, lait concentré, eau de vie, cannelle.


Et pour compléter l’ambiance déjà bien détendue, Murcie possède quelques petits parcs. Le climat ne réussit pas qu’aux arbres fruitiers, les exotiques semblent l’apprécier aussi.

Caoutchoutiers géants dans le Jardín de Floridablanca
Côté visites, l’un des monuments emblématiques de Murcie est le Casino Royal (5€). Des investisseurs qui ont fait fortune sur le dos du Nouveau Monde sont revenus vivre à Murcie. Et comme ils cherchaient un petit lieu où discuter entre riches, ils ont créé ce club privé, avec diverses salles de réception, bal, escrime, lecture… toutes décorées avec panache.



A minima, jetez un œil au hall d’entrée, la plus belle pièce, et faites demi-tour avant le guichet.

Moins connu, le petit musée Ramon Gaya (gratuit) présente les œuvres du peintre local. Ses meilleurs tableaux semblent dispersés dans d’autres musées prestigieux, mais la visite reste sympathique, montrant l’évolution de son style sur quatre étages d’une belle maison.


Le Monastère Santa Clara se visite lui aussi gratuitement. Des religieuses de l’ordre des Pauvres Dames y vivent et, fidèlement à leur nom, elles ne parvenaient plus à entretenir le vaste bâtiment. La mairie a ainsi pu acquérir la plus belle partie et elles roulent désormais en Ferrari et en faire un musée de l’histoire de Murcie.

Ne vous étonnez pas d’y ressentir une atmosphère arabo-andalouse : le couvent a posé ses croix dans un palais, celui-là même où vivaient les émirs de l’époque mauresque.

Les autres vestiges de cette période se font rares à Murcie, les Musulmans n’ayant régné que quatre siècles ici contre huit à Grenade. Nous repérons juste quelques fantômes de portes « Bab ceci, Bab cela » sur des écriteaux, ainsi qu’un bout de muraille à l’abri du Centre d’Interprétation de la Médina (encore gratuit).
Dernier conseil à Murcie : pensez à ressortir le soir. Même sous le froid de mars, toute la ville est dehors, de la poussette au fauteuil à roulettes. Impressionnant !

Conseils pratiques pour visiter Murcie
Venir à Murcie en transports
Murcie est bien desservie par le train, à condition d’arriver par le nord (Madrid, Valence, Barcelone…), avec de beaux paysages en route. Si vous arrivez du sud-ouest (Almería, Grenade, Malaga, Séville…), il vaut mieux vous tourner vers une compagnie de bus.
Depuis Valence, comptez environ 4h de train, pour un tarif à partir de 15€ si vous réservez tôt, qui grimpe ensuite rapidement.

Se loger à Murcie
Nous étions tout contents de notre studio chez Apartamentos Santa Isabeli, très propre, confortable et bien situé. Seul défaut : son prix a déjà augmenté de 25% en six mois. Peut-être trouverez-vous mieux ailleurs… hélas nous avons l’impression que c’est l’Espagne entière qui devient chère !
Manger et boire à Murcie
Nous nous sommes régalés avec les burgers de chez Impala, très gourmands, dont plusieurs végétariens au menu.
Pour boire des coups en terrasse, le choix ne manque pas. En plus de la place Las Flores citée plus haut, il existe plusieurs bars sympas derrière la cathédrale.
Et pour un très bon café (un poil cher pour l’Espagne), passez au CafeLab. C’est l’occasion de goûter au fameux café asiático, accompagné ou non d’une part de gâteau.
Carthagène : au carrefour des âges
Une quarantaine de kilomètres seulement séparent Murcie de Carthagène. Mais tandis que la première s’affaire à tailler et bouturer ses arbres fruitiers, la seconde se tourne vers les flots, et ce depuis des millénaires.

Les fondateurs de Carthagène s’appelaient les Carthaginois. Mais c’est plus compliqué que ça n’en a l’air : nous parlons des Carthaginois de Carthage, en Tunisie actuelle. Les deux villes ont d’abord partagé le même nom : “ville nouvelle” en phénicien, avant que les propriétaires suivants, les Romains, ne l’appellent Carthago Nova pour les différencier.

Un défilé d’autres conquérants est passé par là : les Wisigoths, les Byzantins, les Musulmans, les Castillans… chacun ajoutant sa petite touche et rendant la cité plus étonnante. Mais le comble de notre étonnement, à notre arrivée, est le nombre de vieux immeubles élégants. Nous n’en finissons pas d’admirer des jolies loggias, des balcons en fer forgé et des froufous en tout genre. Carthagène est vraiment la ville des belles façades !



Si Carthagène s’est embellie grâce à plusieurs âges d’or, notamment celui de l’exploitation minière vers 1900, elle a aussi souffert d’âges sombres. Un peu partout, des façades bringuebalent, lorsqu’elles ne sont pas déjà à terre.



Face à l’épidémie de « dents creuses », abattre les vieilles façades est désormais interdit. Elles restent en suspens jusqu’au prochain âge d’or, que la mairie espère touristique. Alors… ben… vous savez ce qu’il vous reste à faire pour ne pas la décevoir !

Les arguments pour nous appâter, eux, sont solides. Nous adorons par exemple nous promener sur la Calle Mayor piétonne, avec sa série de bâtiments de style Art Nouveau, que l’Espagne qualifie de Modernismo.

Mention spéciale pour le magnifique hôtel de ville, juste avant le port. Nous sommes parfois à deux doigts de nous croire en Europe de l’Est, si des drapeaux et palmiers ne nous ramenaient pas en Espagne.



Citons aussi la façade remarquable de la Casa Maestre, du nom d’une famille prospère, cachée derrière les deux immenses caoutchoutiers de la Plaza San Franciso.


Au sein de cette grande symphonie de façades, s’élève l’emblème de Carthagène : un théâtre romain. L’entrée est normalement à 7€, mais les dieux-planètes sont avec nous : les deux dernières heures sont gratuites chaque mardi.
La visite démarre par un court musée, dont le troisième étage mène à une crypte. Oui, vous avez bien lu, la crypte est en altitude. Elle appartient à un reste d’église, perché en équilibre sur un coin de l’amphithéâtre. Ne nous demandez ni comment, ni pourquoi, mais cette entrée est… théâtrale.



Si vous ne bénéficiez pas de l’entrée libre du mardi, gardez peut-être vos pesetas. Il suffit de contourner le théâtre pour bénéficier d’une vue à toute heure du jour, de la nuit et de la semaine.

Ce n’est pas tout. Continuez de grimper jusqu’au parque Torres qui chapeaute la colline, vous serez au meilleur mirador pour admirer le coucher de soleil, qui sera statistiquement réussi, puisque Carthagène est l’une des villes les plus ensoleillées d’Europe.



Et il y a encore plus haut ! Le Castillo de la Concepción permet de remonter d’un cran pour une vue sur mer mieux dégagée. En dehors de cela, sa visite n’est pas follement intéressante. Économisez les 5€ (ou bien visez ici aussi la fin du mardi).


En prenant de l’élan dans la descente, nous parvenons sans effort au sommet de la colline voisine, le cerro del Molinete. S’y succédèrent un palais, des moulins, un quartier pauvre et désormais un parc agrémenté de panneaux d’explications archéologiques. Il offre en outre une vue sur l’ancien forum romain, dont l’entrée coûte sinon 7€ (les avis sont positifs).

À la place, nous plongeons au sous-sol d’un immeuble récent, qui héberge les ruines de la Casa de la Fortuna (4€). Téléportés sur le pavé d’une rue romaine, nous pénétrons dans la maison d’une riche famille par la porte principale, avant d’en visiter toutes les pièces. N’oubliez pas de venir avec votre imagination, car les murs n’ont pas bien supporté de passer deux millénaires en position verticale.

Par un grand écart digne de Van Damme, nous enchaînons avec le musée d’art moderne, gratuit. Peu fourni, il présente quand même quelques peintres doués et trois-quatre sculptures de Dalí. L’intérieur étant relié au très élégant bâtiment de style modernista voisin, la visite vaut doublement le coup.



Et côté mer, que se passe-t-il ? Les quais nous offrent détente et relaxation sous la caresse du soleil de mars. Avec en guise de décor la superbe baie de Carthagène, une flopée de petits bateaux dans la marina, des navires plus magistrals dans les chantiers navaux, un château posté sur chacune des sept collines qui nous entourent, quelques rangées de palmiers et la muraille de la ville dans notre dos.




Tout près de l’eau, un bâtiment géométrique héberge le musée d’archéologie sous-marine (3€). D’habitude, ce genre de lieu exhibe des objets rouillés et le seul intérêt consiste à les identifier. Ici, l’exposition met beaucoup d’efforts (et d’amphores) sur les explications : pourquoi on fouille, comment on fouille, quelles sont les difficultés liées au contexte sous-marin…

Si, et seulement si, vous êtes férus d’anciennetés, vous pouvez ajouter à votre planning le musée archéologique municipal (non sous-marin), à 20 minutes de marche du centre et gratuit. Autour d’une ancienne nécropole, sont exposés des objets de toutes époques, jusqu’à celle des rhinocéros laineux. Nous apprenons que les Romains exportaient du plomb de Carthagène jusqu’en Autriche, et deux-trois autres choses, mais l’ennui a globalement pris le dessus.



Voilà pour les visites. Dommage de finir sur ce musée somnifère, car le reste de la ville vaut vraiment la découverte !
Pour rattraper l’ambiance, voici un dernier conseil culturel : ne ratez pas la tradition bien huilée, dans les deux sens du terme, des petits déjeuners à l’espagnole. Nous sommes fascinés par le nombre d’Espagnols qui descendent sur les coups de 10h, même entre collègues, pour commander des tostadas, c’est-à-dire des tartines grillées. Elles sont souvent couvertes d’huile d’olive et de purée de tomate, mais plein de variantes existent.

Attention, c’est une drogue, il vous faudra ensuite votre dose chaque matin ! Et il y a d’autres habitudes espagnoles que vous voudrez imiter. À force de tout bien observer, nous commençons à les déchiffrer.


Randonnée sur le Monte Roldán (parc Sierra de la Muela)
Attendez, nous n’avons pas terminé. Une dernière raison nous a poussés à passer plusieurs jours à Carthagène. Elle porte le nom de parc naturel Sierra de la Muela, se rejoint facilement par un bus de ville et possède de beaux sentiers. Il n’en faut pas plus pour que nous sautions dans nos habits de rando !



Nous nous lançons dans une boucle de douze kilomètres, qui nous offre notre première bouffée de fleurs de printemps de l’année et surtout… des vues ! La côte est sublime, entre roches sombres et eaux qui tendent vers le turquoise.

La plage de Fatares nous propose une baignade en chemin, que nous refusons poliment. L’eau a encore sa température hivernale.


Par endroits, les roches prennent des teintes surréalistes. Une plage est même pratiquement violette. Pas étonnant que les ancêtres carthagino-romano-wisigotho-byzanto-musulmano-castillans aient trouvé tant de métaux dans ces montagnes.



Le bout du sentier se rétrécit, les randonneurs se raréfient et les brousses s’épaississent, choisissez un pantalon résistant. En échange, vous obtenez une vue sur la baie de Carthagène… et sur ses usines qui ne cherchent pas la discrétion.

Nous recommandons fortement cette randonnée, réalisable en cinq heures tranquilles, pause pique-nique comprise.
Conseils pratiques pour visiter Carthagène
Train de Murcie à Carthagène
Un train local relie efficacement les deux villes dix fois par jour, en 1h, pour 5-6€. Il est donc facile de visiter Carthagène à la journée depuis Murcie, ou inversement.
En revanche, n’espérez pas poursuivre en train de Carthagène vers d’autres villes, c’est quasiment un cul-de-sac. Tournez-vous vers les bus longues distances.
Se loger à Carthagène
Nous avons dormi dans un grand appartement tout neufi en plein centre, parfait exemple d’immeuble moderne qui recycle une ancienne façade. Les gérants ne sont pas très bons communicants, mais au final l’appartement était top. Hélas, ici aussi le tarif a pris 20€ en six mois. Dîtes-nous si jamais vous trouvez une meilleure adresse.

Manger à Carthagène
Nous avons été déçus par la plupart des restaurants que nous avons testés. À part… pour les petits déjeuners ! Pour apprécier de bonnes tostadas, nous pouvons vous conseiller le café La Cartela en plein sur la Calle Mayor (seulement 3€ la formule café con leche + 2 tostadas). Une autre adresse bien typique est El Viejo Almacen.
Pour un goûter (ou petit déjeuner à partir de 9h30) et un bon café, la petite pâtisserie Holy Cakes Bakery nous a bien plu. En revanche, ici les recettes sont moins locales (cookies, viennoiseries…).
Le soir, peut-être que nous aurions aimé le bar à tapas Al Diablo, repéré trop tard. À force de déceptions, nous avons fini par cuisiner nous-mêmes (notre première paella maison !).
Randonner dans le parc Sierra de la Muela
Nous avons suivi cette boucle de 12km et 600m de dénivelé positif. Il est possible de zapper la partie la plus compliquée à l’est (plantes griffantes, sol un peu glissant et aide des mains nécessaire par endroits) en remontant après la plage de Fatares. Et pour faire encore plus court, marchez simplement jusqu’au point de vue Roldán (6km aller-retour) et prolongez autour. Gare au soleil estival, il n’y a pas d’ombre.
La plupart des itinéraires de randonnée partent de ce parking ou de l’arrêt de bus Canales del Taibilla, situé sur la ligne n°3. Comptez environ un bus par heure, 1€20 et 25 minutes de trajet. Horaires disponibles sur Google Maps.
Visites guidées
Nous ne l’avons pas testé mais il existe un « free walking tour », c’est-à-dire un tour guidé payé au pourboire, qui semble intéressant, en anglais et espagnol. Il se réserve par ici. Les voyageurs semblent aussi beaucoup apprécier la visite de la baie de Carthagène en bateau (par là)i.
Notre avis sur Murcie et Carthagène
Le duo nous a bien plu. Murcie mérite bien un ou deux jours de visite pour prendre le temps d’apprécier l’élégant vieux centre, à l’écart du circuit touristique classique. À Carthagène, vous pouvez pousser à deux-trois jours, surtout si vous randonnez dans la Sierra de la Muela. D’ailleurs, bien que Carthagène ait deux fois moins d’habitants que Murcie, tout pousse à croire l’inverse : un vaste centre, une flopée de belles façades, des musées, d’intéressants vestiges historiques et du relief pour mettre l’ensemble en valeur.
Au final, ce sont deux sympathiques étapes à intégrer à un road-trip ou un train-bus-trip, par exemple entre Valence et l’Andalousie, n’hésitez pas. Elles sont moins envahies qu’Alicante et moins bétonnée que Benidorm. Si vous souhaitez dormir en bord de mer et visiter ces villes à la journée, visez plutôt la côte au sud de Carthagène, mieux préservée que le nord.

Nous avons visité Murcie et Carthagène en mars 2025.