Après notre visite de Tachkent et avant de partir découvrir les villes touristiques à l’ouest de l’Ouzbékistan, nous choisissons de faire un petit détour à l’est du pays, dans la vallée de Ferghana.

Cette région coincée entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, en une presqu’enclave aux frontières saugrenues, a plusieurs particularités. D’abord, elle est verte et fertile, un véritable jardin en comparaison des steppes désertiques du reste de l’Ouzbékistan. Elle est également renommée pour son artisanat millénaire, notamment la soie, la céramique et les tapis. Enfin, et c’est la principale raison de notre présence, les habitants de cette vallée peu touristique sont réputés particulièrement accueillants et sympathiques. Nous confirmons tout, tout, tout !

Parmi les villes de la vallée de Ferghana, nous avons choisi Kokand pour ses monuments ainsi que Marguilan pour son marché et ses tisseuses de soie. Et les deux ont l’avantage d’être desservies par le train. Mais rien ne vous empêche d’en choisir d’autres !
Kokand : un accueil aussi monumental que les monuments eux-mêmes !
Dans notre train depuis Tachkent, nous ne ratons pas une miette de nos premiers paysages ouzbeks. D’abord secs, ils verdissent pour se couvrir d’arbres souvent fruitiers, entrecoupés de champs de curieuses petites fleurs blanches…


Au bout du 522e champ, c’est la révélation. Mais bien sûr, il s’agit de coton ! Sa récolte, elle, n’a pas l’air coton. Les capsules éclosent progressivement, nécessitant deux mois entiers de cueillette manuelle sous un soleil de plomb.
À peine débarqués à Kokand, nous réalisons que le béton de Tachkent laisse place aux traditions. À commencer par notre premier restaurant, à l’ombre des saules pleureurs, sans menu et presque sans anglais parlé.

Nos fessiers y font connaissance avec une invention idéale pour ceux qui aiment prendre leur temps :

D’autres signes ne trompent pas, les habitants de Kokand sont vraiment moins pressés qu’à la capitale. Les automobilistes connaissent leur frein, les piétons sont plus nombreux et des cyclistes font même leur apparition.





Nous filons, en toute lenteur bien entendu, visiter le centre de Kokand occupé par un vaste parc où s’agite une armée de jardiniers et de jardinières. Le budget entretien est colossal dans ce pays.

Parmi les passants, nous hallucinons du nombre d’hommes qui portent cette autre invention centre-asiatique :


Au centre du parc, trône le Palais de Khudáyár Khan, surnommé la Perle de Kokand. À sa construction vers 1870, il était le plus grand et beau palais d’Asie Centrale, doté de cent dix-neuf pièces. Une révolution russe plus tard, pas de chance, il n’en a plus que dix-neuf. Il n’en reste pas moins magnifique. Admirez le kaléidoscope de motifs qui orne sa façade !

L’intérieur n’est pas mal non plus (25 000 Sum). Il nous laisse notamment admirer un autre talent ouzbek : les plafonds peints.






Tandis que le soleil descend, le parc s’emplit d’enfants, accompagnés de leurs parents ou grands-parents. Une fois le soleil couché, les pique-niqueurs prennent le relai pour profiter de la fraîche.

Comme souvent en Ouzbékistan, des dizaines de mosquées existent à Kokand, mais une seule a l’honneur de voir débouler les croyants pour la grande prière du vendredi. Vendredi se disant « Jome », elle s’appelle tout simplement mosquée Jome, et elle mérite une visite (25 000 Sum l’entrée).
À l’intérieur, un spectaculaire plafond peint est soutenu par une forêt de piliers de bois importés d’Inde deux siècles plus tôt. D’ailleurs, tout cela nous rappelle le Ladakh indien quitté une semaine plus tôt, à seulement 800km à vol d’oiseau.


Une cour jardinée et minarée fait partie de l’enceinte, ainsi qu’une médersa qui abrite désormais des artisans tisserands, orfèvres, graveurs de métaux, couteliers…

… et fabricants de chapeaux pliables, bien entendu ! Chaque région ouzbèke, et même chaque ville, possèderait un motif qui lui est propre.

Nous passons ensuite par la médersa-mosquée Norbutabiy (gratuite), moins grande que la précédente, mais taillée dans ce style que les Ouzbeks maîtrisent si bien :

Ne manquez pas le cimetière à l’arrière. Au milieu d’une flopée de tombes, quelques mausolées sortent du lot.


Ça, c’est la partie classique du cimetière. Car à l’entrée du plus imposant des mausolées, le Dahma Shahkan, se déroule un manège Ô combien étonnant : des femmes proposent des massages entrecoupés de rots, destinés à conjurer le mauvais œil. À côté, un homme se voit amener des bébés qu’il bénit en crachotant des petits « pfft pfft pfft » dessus.


Promis juré (craché), vous ne risquez rien à vous approcher, l’ambiance est même assez sympathique !
À partir de là, notre visite de Kokand prend un virage inattendu. Trois jours plus tôt, un jeune adolescent visitant Tachkent avec sa mère nous abordait :

Apprenant que nous prévoyons de passer par sa ville Kokand, il insiste pour échanger nos WhatsApp. Et c’est ainsi que nous retrouvons Afruzbek, 13 ans, et sa sœur Niguina, 16 ans. Très débrouillards, ils ont négocié avec leurs professeurs de sécher les cours pour nous offrir un tour guidé.

Nous refaisons un passage devant le palais de Kokand, enrichi d’explications détaillées (leur mère est prof d’histoire), puis devant un théâtre, un musée, des sculptures… mais c’est peut-être au marché que nous en apprenons le plus. Les commerçants sont encore plus enjoués qu’à Tachkent, surtout qu’ils ont cette fois des interprètes pour nous présenter leurs produits !


Les bouchées de dégustation pleuvent : pain à l’oignon, abricots locaux (les meilleurs du monde, paraît-il !), grenades, billes de lait fermenté (qurt), framboises à l’eau chaude (pour soigner la grippe), cristaux de sucre (navat), pastèques, nectarines à peau blanche…


Le havla de Kokand, comme un chocolat blanc sans chocolat, est spécialement réputé pour son onctuosité.
Le tour se termine chez nos deux complices, où nous attendent les parents, la petite sœur, la grand-mère et la tante. Derrière le haut portail se cachent une cour, un salon de jardin, des arbres fruitiers, mais aussi des poules et trois vaches pour assurer les besoins en œufs et lait. Ils ne sont pas agriculteurs, mais possèdent également un champ de coton plus loin.

Rapidement, la table se recouvre de victuailles. Nous avions lu qu’il était de coutume de nourrir copieusement ses invités, mais aussi qu’il était poli de tout goûter. Gloups ! Et ce n’est qu’un début, la grand-mère s’active en cuisine pour préparer le plat national : un plov.

Le plov ouzbek, à base de riz, carottes jaunes, ail, cumin noir, fruits secs et souvent viande.
Entre deux fourchettes, les parents nous interrogent par enfants traducteurs interposés sur nos vies, nos goûts, nos pays préférés, nos salaires, le prix de notre appartement… Et nous les questionnons en retour. La mère aimerait voyager, voir le Taj Mahal et manger des croissants à Paris, le père a déjà voyagé en Russie et en Chine, il adore le film « Les Visiteurs », Niguina rêve de visiter des villages aux ruelles étroites, Afruzbek aime les voitures de sport. Et tous adorent… la chanteuse Alizée !
La générosité ne tarit pas, nous recevons des cadeaux : des fruits du jardin, des fleurs fabriquées en crochet, un foulard en soie pour Mi-fugue et deux chapeaux traditionnels pour Mi-raison, dont le fameux doppa pliable. Ils finissent par nous confier qu’ils sont extrêmement fiers de notre intérêt pour leur petite ville et qu’ils espèrent que leurs enfants pourront eux aussi visiter le monde.

Le nouveau chapeau de Mi-raison
Marguilan : bazar, soie et traditions
Nous quittons Kokand avec regret, et débarquons à Marguilan avec quelques attentes… qui se révèleront vite comblées ! Ici, soyons clairs, il faut mettre de côté l’idée de visiter des monuments, ceux-ci n’ont pas survécu aux siècles. À l’inverse des traditions, qui sont encore plus profondément ancrées.

Par exemple, dès que c’est possible, les trottoirs sont couverts de vignes, offrant de l’ombre à une kourpatcha, avec ou sans ronfleur dessus.




Pour compléter le look des maisons, il n’est pas rare de tomber sur des portails très pompeux, parfois entièrement dorés, capables de transformer un mur fade en entrée royale.

Les traditionnelles Lada sont aussi en surnombre ici…

(Canards ladaqués)
… tout comme les chapeaux traditionnels !

Mais la vraie richesse de Marguilan, c’est l’humain. Et pour mettre un maximum d’humains sur notre route, nous partons voir l’immense marché local, le Kumtepa Bazaar, ouvert les jeudis et dimanches uniquement. Il s’agit, de loin, de notre meilleur souvenir à Marguilan !

Nous commençons par nous perdre dans la section des tissus de maison. Les kourpatchas par milliers attendent que des fesses les adoptent, entre les rideaux, tapis, draps ou couettes brodées de fils dorés, répondant aux dents des vendeuses.





Puis nous migrons vers les vêtements, où la profusion de motifs dépasse la capacité de traitement de nos yeux. Et lorsque les motifs s’apaisent, c’est pour être remplacés par des robes de mariées avec des traînes de six mètres ou par des imitations Dior, Chanel ou Giorgio Armani. Les centres commerciaux ne sont pas près de remplacer un marché aussi fourni !


De l’autre côté de la route, le royaume de la nourriture nous rend encore plus fans de ce marché. Les allées s’organisent par spécialité : allée des oignons, rue des patates, boulevard des choux, place des citrouilles… avec à chaque fois des MONTAGNES de légumes.



Nous nous retrouvons objets de la curiosité de tous les vendeurs, sous un tourbillon de saluts, de sourires, de blagues, de cadeaux et… de compliments sur le nouveau chapeau de Mi-raison bien, sûr !




Le vendeur de pistaches refuse catégoriquement notre argent : « Vous êtes des invités, vous êtes des cadeaux ». D’autres nous citent les Français qu’ils connaissent : Mbappé, Zizou Number One, Jacques Chirac, Pompidou, Alexandre Dumas, Belmondo, Daniel le taxi (vous avez la réf ?)… Quelle expérience !
Côté artisanat, Marguilan est connue pour son art du tissage. Coup de chance, nous tombons pendant l’Atlas Bayrami, un festival des arts traditionnels. Des dizaines de maîtres du sujet exposent leurs créations dans le parc principal, en provenance des autres villes ouzbèkes et des pays alentours : Pakistan, Kirghizistan, Afghanistan, Hindustan… Nous sommes particulièrement admiratifs des tenues traditionnelles turkmènes, magnifiques !



Au fond du parc, le chahut d’une petite fête foraine nous attire. Les manèges sont vieillots, mais puisqu’ici encore les Marguilanais sont ultrasympas, nous en essayons plusieurs. Nous vous recommandons tout particulièrement le Crazy Slide (toboggan sur une bouée).


Mais revenons à nos chiffons. Malgré les kilohectares de coton qui l’entourent, Marguilan est réputée pour sa soie. Nous rendons visite à la Yodgorlik Silk Factory (30 000 Sum), qui nous montre le processus de transformation traditionnel, du ver à soie jusqu’au foulard ou au tapis, colorés à l’indigotier, l’acacia, la peau de grenade ou le brou de noix.

Hélas la confection artisanale a du mal à rivaliser avec la machine, dix fois plus productive.

La visite s’achève, cela va de soie, dans une boutique. Nous trouvons les vêtements proposés moins séduisants que les tissus bruts vendus au gros, dommage !
En sortant, nous tombons sur un bout de rue envahie de boulangers, proposant des pains plus beaux les uns que les autres, en version spéciale grandes occasions, regardez ça !




Nous tentons de visiter un autre lieu, le Marguilan Crafts Developpement Center, censé regrouper des ateliers de couturiers. Hélas, ou par chance, il est réquisitionné dans le cadre du festival par des répétitions de défilés de haute couture. L’occasion d’admirer des créations modernes, mais imprégnées de motifs traditionnels.

Le lendemain, nous mettons les tissus de côté pour passer voir la grande mosquée Khonakhan à l’heure de sortie de la prière du vendredi. Un flot ininterrompu de têtes calottées en ressort.


Au milieu du grand enroulement des tapis, jusqu’au vendredi suivant, nous admirons les poutres sculptées, plafonds ciselés et lustres dorés. La mosquée a beau être âgée de quatre siècles, elle est si pimpante que nous avons du mal à différencier ce qui a été retapé de ce qui a été remplacé.


Enfin, lors d’un dîner dans l’un des restaurants les plus animés de Marguilan, encore une fois, les Marguilanais n’hésitent pas à venir nous parler. Et quand Mi-raison part se laver les mains, il ne reconnaît pas notre table au retour. Quatre adolescentes l’ont remplacé pour bombarder Mi-fugue de questions !


Notre avis sur la vallée de Ferghana
C’était incroyable ! Beaucoup de nos meilleurs souvenirs d’Ouzbékistan resteront liés à cette vallée de Ferghana et à ses habitants si sociables. Voilà ce que donne la combinaison d’un pays réputé pour son accueil et d’une région peu touristique.
Nous avons passé cinq jours dans la vallée de Ferghana, pour ne pas courir. Vous pouvez facilement raccourcir ou intégrer une autre étape, par exemple la ville de Ferghana elle-même ou bien Richtan, la ville de la céramique. Et n’oubliez pas, si vous allez à Marguilan, de bien viser les jours du grand bazar, jeudi ou dimanche, car c’était de loin notre marché préféré du pays.
Conseils pratiques pour visiter Kokand et Marguilan
Venir dans la vallée de Ferghana depuis Tachkent
C’est très facile, puisqu’une ligne de train part de la capitale vers Kokand, puis Marguilan. Il est fortement conseillé de réserver les billets une dizaine de jours à l’avance (sur le site d’Uzbekistan Railways). Hélas la date de mise en vente des billets n’est pas claire, parfois 45 jours à l’avance, parfois moins. Comptez 4h30 pour le Tachkent-Kokand et 50 minutes de plus pour Marguilan. En cas de fortes chaleurs, visez un wagon climatisé. Ils le sont tous sur les nouveaux trains appelés « O’zbekiston ». Sur l’ancien matériel appelé « Пассажирский », seuls les wagons « Coupe » sont climatisés.
Notez que des sachets de thé sont fournis et un distributeur d’eau chaude est présent à l’entrée du wagon. Il ne vous reste qu’à apporter votre tasse !

Andijan est la seule autre ville de la vallée de Ferghana reliée par le train. Pour atteindre Ferghana (ville) ou Richtan, vous pouvez vous aider des minibus, appelés marshrutkas.
Se déplacer dans Kokand
Les distances sont parfois un peu éloignées et le réseau de bus est plus difficile à comprendre qu’à Tachkent. Nous nous sommes principalement servis de l’appli Yandex (l’équivalent d’Uber).
Se loger à Kokand
L’hôtel dont le nom revient toujours sur les forums de voyageurs français s’appelle Silk Roadi. Tout semble beau et confortable, hélas nous nous y sommes pris trop tard et il était complet. À défaut, nous avons testé leur dîner, très bon.
Nous nous sommes rabattus sur l’hôtel Reikartzi, un grand établissement vieillot qui appartient à une chaîne. Des ouvriers semblent le rénover petit à petit, mais ce n’était pas terrible lors de notre passage : bruyant, abîmé, mauvais matelas.
Manger à Kokand
- Près de l’hôtel Reikartz, le restaurant Karvon (caravane) est bon marché, convivial, avec une belle terrasse. Hélas, ce n’est pas fait pour les végétariens, ils proposent surtout des grillades et même la soupe a un goût de viande.
- Dans un style diamétralement opposé, le restaurant Di Largo est très chic, avec un tapis rouge digne de Cannes à l’entrée. C’est l’adresse pour la classe aisée ou pour les grandes occasions. Les prix restent corrects cependant. Le menu n’est pas très végétarien, mais nous nous en sommes sortis avec des soupes et des accompagnements, comme souvent en Ouzbékistan.
- Notre meilleure adresse est le restaurant de l’hôtel Silk Road cité ci-dessus. Malgré l’aspect très élégant de l’établissement, nous avons été servis par deux jeunes très amicaux. Le menu est classique, mais mieux cuisiné qu’ailleurs.
Festival d’artisanat de Kokand
Un grand festival a lieu tous les deux ans à Kokand (à ne pas confondre avec le festival de Marguilan auquel nous avons assisté), appelé le International Festival of Handicrafts. Retrouvez la prochaine date sur ce site.
Se loger à Marguilan
Ici, les hôtels sont encore plus rares. Nous nous sommes dépêchés de réserver trois nuits à la Guesthouse Evergreeni, probablement le meilleur choix en ville dans notre gamme de prix. Les chambres entourent une jolie cour toute verte, parfaite pour se détendre, le petit déjeuner est très bon et il est aussi possible de cuisiner sur place.

Manger à Marguilan
Les restaurants ne sont pas nombreux à Marguilan, et le Anor Family Café, à la cuisine turco-ouzbèke, est un peu le seul qui plaise aussi bien aux touristes qu’aux locaux. Les serveurs ont une carte végétarienne à part, si vous leur demandez.
Se rendre au marché de Marguilan
Le Kumtepa Bazaar se déroule ici les jeudis et dimanches jusqu’à 15h environ. Comme le marché se situe à cinq kilomètres du centre, le plus simple consiste à héler les innombrables marshrutkas (minivans blancs de la marque Damas) au bord de n’importe quelle route jusqu’à ce que l’une d’elles dise oui. Il est aussi possible de prendre un Yandex, mais ils sont peu nombreux à Marguilan, les temps d’attente sont donc parfois élevés.
Festival d’artisanat de Marguilan
Le festival Atlas Bayrami auquel nous avons assisté prend place durant quinze jours en septembre, une fois tous les deux ans. Détails et dates par ici.
Nous avons visité la vallée de Ferghana en septembre 2024.